Le dilemme du prisonnier, un concept fondamental en théorie des jeux, illustre comment des acteurs rationnels peuvent échouer à coopérer, même lorsque cela est dans leur intérêt mutuel. Cet article explore comment ce paradigme a façonné les relations internationales et les stratégies géopolitiques tout au long de l’histoire.

La Guerre Froide : Une Application Classique

Pendant la Guerre froide (1947-1991), le dilemme du prisonnier s’est manifesté de manière frappante entre les États-Unis et l’Union soviétique. La dissuasion nucléaire en est un exemple parfait : chaque superpuissance possédait la capacité de détruire l’autre, ce qui aurait conduit à une destruction mutuelle assurée. En 1949, lorsque l’Union soviétique teste sa première bombe atomique, le monopole nucléaire des États-Unis n’est plus. Cela marque le début de la course aux armements nucléaires. Ce dilemme s’accentue en 1962 avec la crise des missiles de Cuba, où la menace d’un échange nucléaire devient immédiate.

Malgré le danger, la méfiance mutuelle empêche une désescalade. La signature des accords SALT I en 1972, limitant les missiles antibalistiques (ABM) et les lanceurs de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), montre une tentative de surmonter ce dilemme. Cependant, les deux parties craignaient toujours que l’autre ne respecte pas les termes. Ceci est un reflet clair du dilemme du prisonnier : bien que la coopération (réduction des armes) soit bénéfique, la tentation de trahir (pour un avantage stratégique) demeure forte. Ce dilemme persiste jusqu’en 1987 avec le Traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces), qui élimine une catégorie entière d’armes nucléaires, montrant une avancée dans la coopération malgré la méfiance réciproque.

Le Moyen-Orient : Des Alliances Instables

Le dilemme du prisonnier se manifeste également dans les alliances fluctuantes du Moyen-Orient. Les relations entre les pays de cette région ont souvent été marquées par une dynamique de confiance et de trahison. En 1979, la révolution islamique en Iran transforme un allié clé des États-Unis en adversaire, modifiant profondément les alliances régionales. La guerre Iran-Irak (1980-1988) en est une illustration brutale : deux anciens alliés se retrouvent dans un conflit prolongé, chacun craignant que l’autre ne prenne l’avantage s’il ne se défend pas agressivement. Cette guerre illustre le dilemme du prisonnier où chaque pays choisit de ne pas coopérer (ne pas désarmer) par peur de la trahison de l’autre, menant à une situation de conflit prolongé et coûteux.

La guerre du Golfe en 1991, avec la coalition menée par les États-Unis pour libérer le Koweït de l’invasion irakienne, révèle des alliances changeantes et des méfiances sous-jacentes. La normalisation des relations entre Israël et plusieurs États arabes en 2020, à travers les accords d’Abraham, illustre une tentative de coopération. Cependant, ces accords suscitent des réactions mitigées dans la région, illustrant encore une fois la méfiance persistante typique du dilemme du prisonnier.

L’Europe : De la Rivalité à la Coopération

En Europe, le dilemme du prisonnier a été progressivement surmonté à travers des initiatives de coopération comme la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951, puis l’Union européenne (UE). Ces efforts ont été motivés par la reconnaissance que la coopération économique et politique réduirait les risques de conflits futurs. Le Traité de Paris établissant la CECA lie économiquement la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, créant une interdépendance qui rend la trahison moins probable et plus coûteuse.

Le Traité de Rome en 1957 crée la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), renforçant la coopération. L’introduction de l’euro en 2002 comme monnaie unique illustre comment l’interdépendance économique force la coopération. Cette transformation de l’Europe en une zone de paix et de prospérité relative montre comment une coopération institutionnelle offre une solution au dilemme du prisonnier.

L’Asie : La Montée de la Chine

Dans le contexte asiatique, la montée en puissance de la Chine représente un autre exemple du dilemme du prisonnier. Les relations sino-américaines bénéficieraient d’une coopération économique et sécuritaire, mais la méfiance et les objectifs stratégiques divergents compliquent cette coopération. La visite de Richard Nixon en Chine en 1972 marque le début de la normalisation des relations sino-américaines. La Chine intègre l’économie mondiale. Cependant, les tensions persistent, comme illustré par la guerre commerciale de 2018, où des tarifs douaniers élevés sont imposés de part et d’autre.

Les tensions en mer de Chine méridionale illustrent cette dynamique : chaque action de la Chine (construction d’îles artificielles, revendications territoriales) est perçue par les États-Unis et leurs alliés comme une tentative de domination. De son côté, la Chine voit les manœuvres américaines comme une menace à sa souveraineté. Ce contexte crée un dilemme du prisonnier où la coopération (désescalade et négociations) serait bénéfique. Cependant, chaque partie craint que l’autre ne profite de la situation pour obtenir un avantage stratégique, menant à une escalade des tensions.

Conclusion

À travers ces exemples historiques et contemporains, il est clair que le dilemme du prisonnier offre un cadre précieux pour comprendre les interactions géopolitiques. La coopération et la trahison, la confiance, la méfiance et le doute sont des thèmes récurrents qui façonnent les relations internationales.